La Princesse et la grenouille, John Musker et Ron Clements

Le cinéma du samedi soir est une règle qui ne souffre aucune exception, sauf quand j’ai piscine. Mais en ce moment, il n’est pas évident de trouver quelque chose de regardable. C’est comme ça que je me suis retrouvé à entrer dans une salle de cinéma en 2010 pour regarder un Disney, comme au bon vieux temps où je n’entrais dans des salles de cinéma que pour voir un Disney. La Princesse et la grenouille, le Walt Disney nouveau, s’est révélé finalement une bonne surprise : le mélange entre vieux et contemporain est plaisant.

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En 2010, alors que toute l’industrie du cinéma ne jure plus que par la 3D après le succès financier magistral d’Avatar, Walt Disney a l’idée incongrue de sortir un film d’animation à l’ancienne. Un dessin animé au sens premier du terme, à savoir des dessins faits à la main et qui défilent rapidement pour créer l’animation. Une technique que les ordinateurs semblaient avoir irrémédiablement détruit, mais qui revient donc dans le célèbre et vénérable studio. Pour l’occasion, il a fallu rappeler des équipes parties à la retraite depuis plusieurs années, et notamment John Musker et Ron Clements, les responsables de dessins animés comme Aladin ou La petite Sirène. La Princesse et la grenouille renoue ainsi avec le dessin à la main, et les histoires à l’ancienne simplement renouvelées avec des problématiques contemporaines.

L’histoire est très classique. Une princesse veut trouver son prince charmant quand, justement, un prince débarque à La Nouvelle-Orléans. Le mariage avec happy-end de conte est attendu, mais le prince naïf se fait transformer en grenouille par un magicien, tandis que son valet devient le prince. C’est alors que tout déraille : le prince transformé en grenouille rencontre une jeune femme qu’il prend pour la princesse alors qu’elle n’est qu’une serveuse et lui demande de l’embrasser. Quand elle s’exécute, le prince ne retrouve pas sa forme humaine, mais la jeune femme s’est transformée elle-même en grenouille ! Commence alors une longue aventure pleine de péripéties pour qu’ils retrouvent tous deux leur apparence normale.

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Le schéma narratif est en apparence sur des rails, mais il dévie en fait constamment, frôlant régulièrement, sans l’atteindre, l’inversion parodique. Évidemment, le fait que la grenouille soit le prince et que le bisou transforme les deux élus en grenouilles sont deux inversions par rapport aux schémas narratifs traditionnels. La princesse est pour le moins atypique : c’est en fait une jeune femme noire, donc pauvre dans La Nouvelle-Orléans, qui a eu la chance de grandir avec une jeune fille très riche. C’est donc une princesse qui non seulement travaille, mais en plus met constamment en avant la nécessité de travailler dur pour réussir dans la vie. Ainsi, alors qu’elle fait un vœu la bonne étoile, son papa lui rappelle que seul le travail lui apportera ce qu’elle désire dans la vie. Cette incursion du travail est, je crois, nouvelle chez Walt Disney : jusque-là, seuls les personnages secondaires pouvaient travailler, les personnages principaux étaient tous des êtres exceptionnels que le travail ne pouvait concerner. Ajoutons que dans le couple, c’est ici la femme qui travaille, mais c’est une femme moderne qui entend bien mettre au travail le pendant masculin du couple. On a ainsi l’occasion de découvrir un jeune prince qui apprend à émincer un champignon…

La modernité de la princesse ne s’arrête pas au fait qu’elle travaille. C’est la définition même de son statut de princesse qui est remis en cause dans La Princesse et la grenouille. Normalement, la princesse est la fille du roi. Or l’univers de ce dessin animé ne contient aucun régent, mais uniquement un père qui, le soir de Mardi-Gras, se déguise en roi, ce qui suffit à faire de sa fille une princesse. In fine, c’est le mariage qui crée la princesse. C’est tout le statut de princesse qui en prend ainsi un coup, mais le prince est aussi touché. S’il est bien fils de roi, il est pauvre, il passe son temps à jouer de la musique au lieu de s’occuper de choses sérieuses (sauver une princesse endormie, ou sauver une autre des griffes d’un dragon) et il n’est pas franchement charmant. Sûr de sa beauté et de son succès auprès des femmes, il est au contraire arrogant et condescendant et il est inutile quasiment d’un bout à l’autre du film.

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Ainsi, sur des bases traditionnelles, La Princesse et la grenouille fait place à la modernité par plusieurs aspects. Le plus frappant à mes yeux concerne le rôle de l’argent. Quand on y réfléchit, l’argent ne joue d’habitude aucun rôle chez Walt Disney. Au mieux il s’agit d’or brut, comme dans Aladin, mais même alors c’est un or qui n’a pas d’existence réelle en dehors de la caverne du désert. En 2009, l’argent est au contraire au cœur de toutes les problématiques : le prince ne se marie plus à la princesse parce qu’il le doit (c’est dans l’ordre immuable du conte), mais parce que ses parents l’ont déshérité et qu’il doit se marier à une riche héritière. L’héroïne travaille pour économiser de l’argent et pouvoir ainsi s’acheter un restaurant. Elle accepte également l’invitation à la soirée contre de grosses liasses de billets. Plus largement, on apprend finalement que le méchant n’est motivé que par l’argent, en l’occurrence des dettes qu’il doit rembourser. C’est ainsi l’ensemble du film qui fonctionne autour et par l’argent (ce qui est fort réaliste, finalement). Seuls les deux héros sont épargnés par cette quête et même le prince n’accepte de se marier pour de l’argent qu’à contrecœur.

Ces héros traditionnels rappellent qu’un Walt Disney reste un Walt Disney, même modernisé. Et de fait, La Princesse et la grenouille s’inspire des classiques au moins autant qu’il innove. Visuellement, c’est flagrant : l’ambiance pioche dans plusieurs Disney : le palais d’Aladin, les marais de Bernard et Bianca, le chant de tous les animaux du Roi Lion, etc. De même, des personnages sont clairement inspirés, voire plagiés, par d’illustres prédécesseurs : le sorcier est une copie de Jafar, tandis que le Prince évoque Aladin ; la sorcière est un mélange entre toutes les sorcières de Walt Disney, notamment celle de Merlin l’enchanteur, mais elle tient aussi de Rafiki. Le crocodile, quant à lui, est une copie parfaite de celui de Peter Pan et on pourrait encore étendre la liste.

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La touche Walt Disney, c’est aussi un humour bon enfant lié à une vaste galerie de personnages secondaires assez réussis, il faut le dire. Les lucioles concentrent ce comique, mais il s’agit aussi des deux héros qui découvrent leur nouvelle nature de grenouille, s’emmêlent les langues et se chamaillent continuellement. L’humour est aussi celui des personnages ridicules, souvent présents dans les dessins animés de Walt Disney et ici très bien représentés par le riche père blanc et sa ridicule fille. C’est efficace, à défaut d’être très original. Notons que si l’humour léger est bien présent dans La Princesse et la grenouille, le film contient une dose assez élevée de scènes avec le méchant qui ne manqueront pas d’impressionner les plus jeunes spectateurs. Les dessinateurs s’en sont donné à cœur joie pour créer des scènes très bariolées (qui rappellent encore Aladin) assez belles, mais impressionnantes. Peut-être néanmoins que c’est dans la moyenne des scènes de méchant des créations de Disney, je ne me rends pas bien compte.

Un Walt Disney serait incomplet sans musique. La Princesse et la grenouille contient donc logiquement plusieurs scènes chantées et dansées, autant que d’habitude je dirai. La musique a subi le même ravalement de surface que le reste du film, tout en conservant ses bases bien connues. Ainsi, les chansons font un peu avancer l’action, mais servent surtout à ajouter une touche supplémentaire à l’histoire. Le plus souvent, elles interviennent en guise d’explications pour l’un des personnages. Les paroles sont conventionnelles, même si elles intègrent les nouvelles thématiques autour du travail et de l’argent, bien sûr. La bande-son s’est, par contre, enrichie de nouvelles sonorités. Si l’orchestre symphonique reste la base, on note l’ajout de nombreux éléments de jazz, de blues ou même de gospel, soit des musiques originaires de La Nouvelle-Orléans. Certes, Les Aristochats représentait déjà une tentative dans cette direction, mais la fusion est ici plus poussée et le résultat est, je trouve, satisfaisant. Les chansons restent des chansons un peu mielleuses, mais enfin je crois que l’on peut saluer l’effort de modernisation effectué par les équipes de Walt Disney dans le domaine.

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Je suis sorti de la salle avec le sourire. Je crois que c’est bien la preuve que Walt Disney a encore un mot à dire aujourd’hui en matière d’animation traditionnelle. L’abandon des techniques modernes et le retour aux sources me semblent être une bonne idée, à en juger par cet opus. Sans renier un passé efficace, tant sur le plan technique que narratif, Ron Clements et John Musker ont réussi à offrir, avec La Princesse et la grenouille, une relecture efficace des contes et mythes de toujours. Je n’en attendais pas tant…